ECONOMIE: L'Afrique récolte les fruits de l'austérité

Publié le par Philippe Perdrix

 

Dominique Strauss-Kahn, avec Laurent Gbagbo, en 2008 à Ouagadougou. Dominique Strauss-Kahn, avec Laurent Gbagbo, en 2008 à Ouagadougou. © Imageforum

Leurs ardoises effacées, les États subsahariens ont reconstitué leurs marges de manœuvre budgétaires. L’investissement public, essentiel au rattrapage économique, s’en trouve conforté.

C’est finalement l’histoire de l’arroseur arrosé. Toujours en première ligne lorsqu’il s’est agi de prescrire une « thérapie de choc » à l’Afrique, durant les années 1980-1990, pour traiter ses graves déséquilibres budgétaires, les pays riches du Nord découvrent à leur tour les « délices » des plans de rigueur. Les risques de banqueroute ont changé de camp. La dure loi des marchés a trouvé de nouvelles victimes. Sur fond de récession, le plan de sauvetage de l’euro chiffré à 750 milliards d’euros en apporte la cinglante démonstration. Après avoir vécu au-dessus de ses moyens, l’Union européenne – dont la dette publique représente 73,6 % du PIB – va devoir apprendre à se serrer la ceinture.

De ce point de vue, l’Afrique a une longueur d’avance. Souvenons-nous du consensus néolibéral de Washington des années Thatcher-Reagan, qui a passé à la moulinette les dépenses publiques, les budgets sociaux, les administrations, les protections douanières, les subventions… La pilule a été amère. Mais aujourd’hui, on peut reconnaître qu’elle a soigné le malade. En tout cas, elle lui a permis de repartir d’un bien meilleur pied. « Depuis le début du ­siècle, la croissance de l’Afrique subsaharienne frise les 5 % par an. Ce n’est pas assez, mais c’est mieux que les années 1990, durant lesquelles le PIB par habitant était en baisse. Outre la hausse du prix des matières premières et le réveil de l’entrepreneuriat, les plans d’ajustement structurel, même brutaux et condamnables, ont joué un rôle. Ils ont permis aux États de retrouver des moyens financiers », résume l’ancien Premier ministre français Michel Rocard. « En permettant une baisse des dépenses au titre du service de la dette, les annulations de dette ont favorisé une amélioration des finances publiques et des balances des paiements », ajoute Abdoulaye Bio-Tchané, le président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).

De fait, après l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), lancée en 1996, et celle pour l’allègement de la dette multilatérale (IADM), initiée en 2006, l’endettement ne représente plus, aujourd’hui, un handicap au développement. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne est passée de 60 % du PIB en 2003 à 29 % en 2009, selon le Fonds monétaire international (FMI). À la fin de 2009, les annulations consenties représentent en moyenne 40 % du PIB des pays concernés, soit un peu plus de 100 milliards de dollars, dont 75 milliards pour la seule Initiative PPTE. De belles marges de manœuvre.

Places financières rassurées

« Dans ce nouvel environnement, l’investissement public, si essentiel au rattrapage économique, commence enfin à reprendre sa place dans les politiques nationales, expliquent Jean-­Michel Severino et Olivier Ray dans leur livre (1). En progression constante depuis quelques années, le taux d’investissement a atteint une moyenne de 22 % du PIB en 2008. Un chiffre encore inégalé pour la région – et proche de celui que connaissaient les pays émergents à l’aube de leur décollage. » Dans le détail, les dépenses d’investissement des États subsahariens représentent 9 % du PIB en 2009, contre 7,5 % sur la période 2003-2007. Les dépenses dans les secteurs de la santé et de l’éducation sont passées de 5,5 % en 2006-2007 à plus de 7 % aujourd’hui. « Les dépenses sociales sont aujourd’hui six fois plus élevées que le service de la dette », précise Abdoulaye Bio-Tchané. Quant aux réserves de change, elles ont bondi, passant d’un peu plus de 50 milliards de dollars en décembre 2004 à près de 150 milliards en décembre 2009. Une progression sans précédent. De quoi insuffler des politiques budgétaires dynamiques, rassurer les places financières et inciter les investisseurs étrangers à miser sur ces « nouvelles frontières africaines » qui englobent un marché, jeune et prometteur, de 1,8 milliard d’habitants en 2050.

Quitte à se montrer volontiers caricatural, la « tectonique économique » a éloigné l’Afrique de la Grèce dans l’incapacité de se financer sur les marchés ! Sur la seule zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le marché obligataire a permis de collecter environ 2 000 milliards de F CFA (3 milliards d’euros) en 2009. La quote-part des États est de 67 %. Certains pays – comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, mais aussi la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Gabon – vont également à l’international pour lever des fonds. Avec succès. Il en va de même pour les entrées de capitaux privés – principalement portées par les investissements directs étrangers (IDE) –, qui sont passées de 15 milliards de dollars en 2002 à plus de 50 milliards de dollars en 2007. Et la baisse à 40 milliards de dollars en 2009 est moins brutale que dans les autres régions du monde.

Résultat, alors que les pays industrialisés ont quasi tous plongé dans la récession l’année dernière, l’Afrique subsaharienne a affiché une croissance de 2,1 %. En 2010, le rebond est encore plus marqué, à 4,7 %, contre une moyenne mondiale de 4,2 %, selon le FMI. « Près des deux tiers des pays qui ont connu un ralentissement ont été en mesure d’accroître leurs dépenses publiques pour soutenir l’activité », explique l’organisation dans son dernier rapport régional.

Le meilleur des mondes ? Non, répond Serge Michailof, qui vient de publier avec Alexis Bonnel un saisissant livre sur les défis qui attendent les pays du Sud et les errements des politiques d’aide du Nord (2). « Les calculs de soutenabilité de la dette reposent sur des hypothèses d’évolution des exportations et des cours des matières premières relativement optimistes. La crise économique remet en cause ces hypothèses. »

La seconde inquiétude nous emmène à Pékin. En 2008, Kinshasa – en discussion avec le FMI pour annuler sa dette, estimée à 13,1 milliards de dollars, soit 93 % du PIB – a présenté un accord d’un nouveau genre : les 9 milliards de dollars débloqués par la Chine pour financer des infrastructures et relancer le secteur minier sont gagés sur la fourniture de minerais, le tout accompagné d’une garantie de l’État congolais sur un prêt non concessionnel ! « Les économistes du FMI et les bailleurs traditionnels ont failli s’étouffer », se souvient un fonctionnaire international. Finalement, Pékin et Kinshasa ont réduit la voilure à 6 milliards de dollars et levé la garantie de l’État congolais. En conséquence de quoi le FMI a donné son aval pour relancer l’Initiative PPTE.

La question de la Chine

« Je crois que les Chinois font leur apprentissage, avance Jean-Michel ­Severino. Le ministère des Finances est terrorisé par l’empilement de créances sur des pays fragiles. Il y a du débat interministériel. Sur les bons comportements économiques, et notamment la question de la dette, ils bougeront. » « La Chine est à mon avis un bon partenaire et son assistance est la bienvenue, observe Abdoulaye Bio-Tchané. Il convient toutefois de s’assurer de son caractère concessionnel et de la pertinence de l’affectation des ressources obtenues. C’est la responsabilité de chaque pays emprunteur. » Du côté de Kinshasa, l’argumentaire est imparable : les besoins du pays sont chiffrés à 14 milliards de dollars, dont la moitié en ressources propres. Le reste doit provenir de l’aide extérieure. Or, les engagements des partenaires traditionnels s’élèvent à 4 milliards de dollars. Il faut donc trouver des ressources ailleurs. Après avoir effacé les ardoises, les créanciers du Nord ont tout intérêt à accompagner le redressement africain pour en tirer bénéfice et éviter une nouvelle spirale du surendettement. 

(1). Le Temps de l'Afrique, Jean-Michel Severino et Olivier Ray, éd. Odile Jacob.

(2). Notre maison brûle au Sud, Serge Michailof et Alexis Bonnel, Fayard.

Publié dans Astuces

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